Aux Etats-Unis, la torture version rock
Il y a des guitares saturées, une boîte à rythme excitée, une voix torturée. "I am the voice inside your head" ("Je suis la voix dans ta tête"), chante Trent Reznor dans Mr Self Destruct, du groupe de rock Nine Inch Nails. Mais dans certaines prisons militaires américaines, la voix, semblerait-il, n'est pas que dans la tête des auditeurs. Elle est diffusée, non-stop, pendant des jours, à plein volume, dans les cellules de Guantanamo et des prisons secrètes de la CIA.
La musique comme forme de torture : la technique révolte les défenseurs des droits de l'homme. L'organisation Reprieve, installée au Royaume-Uni, défend trente-trois prisonniers retenus à Guantanamo. Elle s'est associée au plus important syndicat de musiciens du pays (Musicians'Union) pour lancer une campagne contre cette pratique. "Zero DB" (www.zerodb.org) consiste en une pétition en ligne, des minutes de silence pendant les concerts, puis, en janvier 2009, une lettre ouverte à Barack Obama, qui doit être investi président des Etats-Unis le 20 et a promis de fermer Guantanamo.
JAMES HETFIELD EST "FIER"
"Zero DB" s'appuie sur des témoignages de prisonniers, dont celui de Binyam Mohamed. Arrêté en 2002, poursuivi pour "complot" et "soutien matériel au terrorisme", cet Ethiopien affirme avoir été incarcéré dans plusieurs prisons militaires secrètes de la CIA au Maroc, au Pakistan et en Afghanistan, puis à Guantanamo. Sur son passage dans la "prison noire", près de Kaboul, il raconte : "Il y avait de la musique très fort, Slim Shady (Eminem) et Dr. Dre, pendant vingt jours. Je devais l'écouter sans arrêt, j'avais fini par tout connaître par coeur."
Plusieurs témoignages font état d'une dégradation psychique. Cette pratique, affirme Chloe Davis, de Reprieve, est "illégale selon la Convention de Genève", qui condamne tout "traitement cruel, inhumain ou dégradant".
Reprieve a dressé une liste des morceaux les plus utilisés : AC/DC, Metallica, mais aussi Britney Spears, les Bee Gees ou Bruce Springsteen. Ils sont choisis en fonction de leur violence sonore ou de leurs titres et paroles : Fuck Your God ("J'emmerde ton dieu"), de Deicide, ou White America ("Amérique blanche"), d'Eminem.
Les musiciens concernés "sont difficiles à joindre", admet Chloe Davis. Sur son site, Trent Reznor, de Nine Inch Nails, a réagi : "Il m'est difficile d'imaginer quoi que ce soit de plus profondément insultant, dégradant et rageant que d'apprendre que la musique que l'on a créée avec toute son âme est utilisée à des fins de torture."
D'autres n'ont pas pris ombrage de la pratique, au contraire. Interrogé par la télévision allemande, en septembre, James Hetfield, le chanteur de Metallica, a affirmé être "fier" que sa musique ait été choisie. "Cela représente quelque chose que (les détenus de Guantanamo) n'aiment pas (...). La liberté d'expression, peut-être."
Certains, enfin, sans scrupule, se sont demandé si le Pentagone devait des droits d'auteur aux musiciens. Un avocat spécialiste de la propriété intellectuelle, Howard Knopf, a posé la question sur son blog. D'autres semblent plus urgentes à résoudre.
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